MES QUESTIONNEMENTS SUR LA GAUCHE
Un petit article pris sur Libé, datant de décembre 2006.
A télécharger dans on intégralité : 30 idées pour réveiller la gauche
Extraits :
Une identité chamboulée
Qui est l'homme de gauche aujourd'hui ? Notre sondage révèle la diversité de ses idées et de ses attentes. Entre réel et utopie, entre collectif et individualisme, il est désormais tiraillé entre cinq familles où les désaccords se multiplient.
Par Renaud DELY
LIBERATION.FR : mercredi 6 décembre 2006
Comment peut-on être de gauche ? Au vu des espoirs évanouis, des échecs endurés et des épreuves traversées par l'homme (ou la femme) de gauche depuis un quart de siècle, la question se pose. Après avoir écrasé le paysage intellectuel de ses certitudes, de la Libération aux années 80, l'homme de gauche s'est mis à raser les murs. Les repères qui structuraient son engagement se sont effondrés un à un : l'Etat jacobin rongé d'en bas par la décentralisation, d'en haut par la construction européenne ; le communisme, englouti avec l'explosion de ses pays laboratoires ; l'Etat-providence et le «modèle social français» déstabilisés par le chômage de masse... Jusqu'à la laïcité qui, un siècle après la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, plie devant la montée des communautarismes et le renouveau des religions.
UNE GAUCHE DÉBOUSSOLÉE ENTRE RÉEL ET UTOPIES
Premier indicateur du mal-être de l'homme de gauche, 60 % des personnes interrogées jugent «dépassées» les notions de droite et de gauche. Les conservateurs ont, historiquement, du mal à assumer un clivage où, dans l'inconscient collectif, c'est le camp du mouvement qui tient le beau rôle. Il est plus inattendu qu'une telle majorité se dégage à gauche pour enterrer cette ligne de démarcation. Certes, comme le note l'historien Jean-Jacques Becker, ce «grand flou» qu'il est devenu tient aussi au fait que «l'homme de gauche a conquis au cours du XXe siècle l'ensemble de l'opinion et l'homme de droite de notre époque se trouve plus sûrement à gauche sur bien des points que beaucoup des hommes de gauche du début du siècle passé» (2). Mais à force de déchanter, la gauche s'est surtout convertie au pragmatisme. Deux tiers de ses sympathisants considèrent même qu'elle n'est «pas assez réaliste pour être crédible». Ce grand désenchantement découle d'une désillusion globale vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie. 84 % des personnes interrogées reprochent aux partis de «ne s'intéresser qu'au pouvoir et pas aux citoyens» et à peine moins s'indignent d'être dirigées par une oligarchie. Bref, l'homme de gauche ne croit plus au «grand soir». Les trois qualificatifs qu'il s'applique le plus volontiers sont modérés («écologiste», «socialiste» et «laïque», plébiscités par 68 à 83 % des personnes interrogées), les étiquettes fleurant la rupture («anticapitaliste», «libertaire», «communiste») étant approuvées, au plus, par un tiers de notre échantillon.
Pour autant, échaudé par le passé, meurtri par le présent (80 % considèrent que notre société «va de plus en plus mal»), le sympathisant de gauche n'a pas totalement perdu foi en l'avenir : 73 % regrettent de «vivre dans un monde qui manque de rêves et d'utopies», indice que l'aspiration à un monde meilleur demeure. Dépourvu de toute ambition messianique, cet autre monde possible n'a rien de chimérique. Il tente plutôt de mieux coller au réel. Raison pour laquelle ses thuriféraires pointent le décalage des élites politiques, économiques et médiatiques avec leur époque, illustré par la faible présence en leur sein des jeunes, des femmes, des musulmans ou des Noirs. «La même gauche rêve d'utopies mais parle de réalisme, et cette dualité-là n'a probablement jamais été aussi vive qu'aujourd'hui, souligne François Miquet-Marty, le directeur des études politiques de l'institut LH2. Les mêmes sympathisants oscillent entre deux refrains qui rappellent tout à la fois le "changer la vie" de François Mitterrand en 1981 et le réalisme de Tony Blair.»
En fait, trois cultures de gauche se font face. Toutes trois sont surdéterminées par les attitudes successives de la gauche vis-à-vis de l'exercice des responsabilités, telles que les analysent l'historien Alain Bergounioux et le politologue Gérard Grunberg (3) : l'une, intègre et révolutionnaire, se caractérise toujours par le «refus du pouvoir» à l'oeuvre de 1905 à 1936 ; une deuxième, fragile et culpabilisée, est dominée par ce «remords du pouvoir» que lui a inculqué le réel entre 1936 et 1971 ; une troisième enfin, réformiste et gestionnaire, assume son «ambition du pouvoir» depuis le congrès socialiste d'Epinay de juin 1971. Bergounioux et Grunberg décèlent ainsi dans la «démarche cahotante» du PS, «faite de pas en avant vers le pouvoir» suivis par des «retours aux sources», «le produit d'une tension permanente entre son intégration croissante au système politique français et le refus de tirer au niveau de sa doctrine et de ses principes les conséquences de celles-ci». Mais si l'homme de gauche déprime quand il s'ausculte, il se rassure quand il se compare. Une majorité pense en effet que leur camp a «de fortes chances de revenir au pouvoir dans les années qui viennent». Le résultat des six alternances droite-gauche vécues au cours des vingt-quatre dernières années. (...)
UNE GAUCHE ÉPARPILLÉE EN CINQ FAMILLES
En fait, plus la gauche rame, plus elle s'éclate. Depuis la naissance de la Ve République, voire depuis 1945, elle a rarement offert un visage aussi morcelé que celui qu'elle présente depuis le 21 avril 2002. Car si la guerre froide, la décolonisation, la stratégie d'union de la gauche ou encore l'exercice du pouvoir ont semé la division, à chaque fois, la gauche se scindait grosso modo en deux groupes, les «pour» et les «contre». De retour dans l'opposition, elle se ressoudait sur un programme commun minimum : non à la droite. Rien de tel, selon l'enquête de l'institut LH2. Trois ans et demi après avoir été chassée du pouvoir, la gauche est profondément divisée en cinq familles, toujours cousines mais de moins en moins voisines. L'hostilité entre les quatre principaux groupes est manifeste (voir ci-contre), le plus central, soit celui qui est le plus à même de faire la synthèse entre des aspirations divergentes, étant le moins fourni (les antiautoritaires, 8 %).
En fait, sur les principaux axes qui ordonnent le camp de la gauche depuis près de deux siècles, révolution/évolution, anti-système/pro-système, public/privé et collectif/individu, les tribus qui la composent ne cessent de s'éloigner les unes des autres. Et deux clivages sont de plus en plus structurants . Le premier, engendré par l'instabilité croissante de la «société du risque» et la montée des précarités, oppose les «pro-système», bien intégrés, aux «anti» rejetés aux marges d'une organisation qu'ils rêvent de voir à terre ; le second, nourri pour partie du précédent, oppose deux façons de se mouvoir «dans» ou «contre» ce système : l'une toujours collective, l'autre farouchement individuelle. L'effritement de ses cadres de référence incite la gauche à céder au syndrome du «chacun pour soi».
Cette gauche individualiste se décompose elle-même en deux sous-familles antagonistes.
1. Les sociaux-libéraux.
La première, la plus fournie, les «sociaux-libéraux» (30 % de notre échantillon), va plutôt bien. Jeunes, ces sociaux-libéraux, qu'on pourrait qualifier de «blairisto-strauss-kahniens», sont chefs d'entreprise ou cadres. Proches du PS et des Verts, ils ont voté Lionel Jospin ou Noël Mamère en 2002 et considèrent que le clivage droite-gauche est dépassé. Optimistes quant à leur situation personnelle, ils invitent leur camp à mettre l'accent sur la recherche de la croissance économique.
2. Les réfractaires.
A l'opposé de cette catégorie dynamique, les «réfractaires» vivent douloureusement l'époque. Cette «gauche réac» ne rejoint les sociaux-libéraux que pour rejeter un Etat jugé oppressant. Pour le reste, il s'agit d'ouvriers ou d'employés, plutôt âgés, qui redoutent la mondialisation et le progrès scientifique, dénoncent l'absence de «liberté d'expression» et exhortent la gauche à se soucier en premier lieu de la sécurité. S'ils se disent volontiers proches de LO ou de la LCR, ces «réfractaires», fortement désidéologisés, ont pu voter à l'extrême droite le 21 avril 2002. On y trouve ces «gaucho-lepénistes» découverts en 1995 par Pascal Perrineau, directeur du Centre d'études de la vie politique française (Cevipof).
3. Les étatistes altermondialistes.
A l'autre bout du spectre, ancrés sur un terreau public et adeptes de la «rupture», figurent deux groupes tout aussi distincts. Les «étatistes altermondialistes» (21 % de notre échantillon) se préoccupent des sujets sociétaux et déplorent que les partis «ne s'intéressent qu'au pouvoir». Convertis au concept de «bougisme» défini par l'essayiste Pierre-André Taguieff, ces «bobos» urbains, fortement représentés parmi les professions intellectuelles, ont massivement voté oui lors du référendum du 29 mai et supplient la gauche du XXIe siècle de se consacrer à la régulation de la mondialisation, la relance de l'Europe, l'éducation et l'environnement.
4. Les radicaux.
Tout aussi partisans de l'Etat mais, eux, viscéralement défensifs, les «radicaux» (13 %) sont issus de catégories modestes. Souvent proches du PCF et pétris de la culture Attac, ils prônent des «renationalisations». Pessimistes sur l'avenir, ils font du refrain de l'«adaptation» un synonyme de trahison, s'arc-boutent sur la défense des acquis sociaux et ont voté Hue ou Besancenot à la présidentielle.
5. Les antiautoritaires.
Esseulés, les «antiautoritaires» (8 %) semblent bien peu pour espérer générer une synthèse. Méfiants vis-à-vis de tout pouvoir dominant, ils sont «anticapitalistes» autant qu'attachés à l'Etat-nation, «socialistes» aussi bien que «libéraux». Pour rassembler ce qui est épars, un prétendant élyséen devra ramener les tribus excentrées vers ce noyau central. A charge pour lui de répondre à des préoccupations, souvent inconciliables, qui ont toutes trait à la vie quotidienne : l'emploi, la «régulation de la mondialisation», le niveau des salaires, le contrôle de l'immigration, la santé ou encore le logement. Faute de quoi, la guerre des gauches pourrait de nouveau faire rage au premier tour de la présidentielle. Comme un remake du 21 avril 2002.
(2) Histoire des gauches en France, sous
la direction de Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (T1 : L'Héritage du XIXe siècle. 588 pp., 39 euros ; T2 : XXe siècle : à l'épreuve de l'Histoire. 780 pp., 45 euros). La Découverte, 2005.
(3) L'Ambition et le remords, les socialistes français et le pouvoir (1905-2005), d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Fayard, 610 pp., 28 euros.
Je sais que bon nombre d'entre vous n'ont pas besoin de lire cela... Moi oui. J'ai toujours voté à gauche, depuis que je suis inscrite sur les listes électorales, c'est-à-dire, depuis l'age de mes 18 ans. Toujours. Je ne me posais pas de questions. Je ne suis pas capitaliste. Je vote à gauche. Le "grand parti" de gauche, c'est le Parti socialiste. En plus, à cette époque, c'était François Mittérand. Mes 18 ans donc ont débuté sous son mandat. Au niveau local, personne n'a "marqué" ma mémoire, je vous l'avoue. Aucun souvenir ! (euh, c'est grave, docteur ?)
Pourtant fille d'un "Lepeniste" et d'une "t'as une belle gueule", j'avais le sentiment d'être de gauche. Point final. Je ne me posais pas de question. Aujourd'hui oui.
Je ne fais pas partie d'un courant. Je me sens au-delà. Attention de ne pas prendre cela pour de la suffisance ou du dédain ou quoi que ce soit de ce style. Non. C'est seulement que j'essaie d'adapter mes "besoins", c'est-à-dire, ma vie de tous les jours, aux idées que peuvent émettre les candidats, à leurs adéquations aux problèmes de société actuels et à d'autres critères plus... "futiles" pour certains. Je me fie souvent à mon "feeling", à mon intuition. C'est peut-être ma croyance en la réincarnation qui veut cela...
On pourra dire que je suis une opportuniste ou quelque chose de ce style mais non. J'ai toujours eu du mal à m'engager foncièrement et franchement dans quelque mouvance que ce soit. Cela se retrouve, d'ailleurs, au niveau de la religion... Je ne sais pas si c'est dû à ma soif de liberté, ou au manque de "charisme", de sincérité, de ces mouvances (peut-être ma soif de liberté...) Ou un manque de confiance. (...) Si je lis les descriptions qui sont faites des courants dans cet article de Libé, je me retrouve dans les 3 derniers courants, avec une préférence pour les antiautoritaires (ce qui me ressemble pas mal...). Quand je lis le sondage, je m'y retrouve aussi :
Trop de divisions à gauche, pas assez réaliste pour être crédible aux yeux des français (encore qu'elle a évolué), les jeunes et les femmes ne sont pas assez représentés en France. Je ne suis pas d'accord sur les questions concernant le référendum pour le traité de la Constitution Européenne et sur le fait que la gauche parlementaire ne doit pas s'allier avec l'extrême gauche pour gouverner le pays. Je ne pense pas également que les notions de gauche et de droite soient dépassées. Mais que ces mouvances usent de ces notions "adverses", soit pour attirer un électorat, soit parce qu'elles essaient de s'adapter aux réalités.
Cependant, aujourd'hui, viennent s'ajouter de nouveaux critères, et notamment un. Il s'avère incompatible avec la gauche : la protection de l'enfance, et surtout, la pédophilie. Je n'ai jamais senti une réelle implication de la gauche dans ce domaine-là. Et je ne parle pas qu'en mon nom propre. C'est le sentiment (et plus qu'un sentiment...) de pas mal, sinon de la majorité, des victimes de l'inceste. Je me souviens même avoir lu des "pétitions" de grands hommes de gauche (écrivains notamment, Louis Aragon) soutenant plus ou moins des situations un peu "glauques". J'aimerais bien retrouver ces textes ! Seule la droite avance quelques solutions plus ou moins efficaces, et a effectué des démarches en notre faveur. Des propositions de lois, certaines ont été adoptées... Notamment en matière de prescription.
Donc, même si, appartenant à une couche dite populaire, je me sens le coeur à gauche, je suis amenée à me poser cette question : lequel de ces "penchants" va prendre le pas ?
Je ne le sais pas encore.
A force de secouer toutes ces idées auprès de la gauche, et n'avoir aucune réponse tangible, il m'est presque imposé de prendre une décision. Mais elle me semble être un crève coeur.
Non. C'est un crève coeur.
Pas facile.
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