samedi 29 septembre 2007

LE BON DROIT DE MINISTRER LA JUSTICE...

Lu sur AGORA VOX

Un professionnel du droit fait-il un bon ministre de la Justice ?

Rachida Dati est appréciée des Français (euh, pas de toutes...), les professionnels du droit : magistrats, avocats sont beaucoup plus réservés sur ses qualités de ministre et ses actions politiques.

Il n’est pas question de «juger» le ministre en place, dans cette contribution. Au-delà de sa personnalité et de son parcours professionnel, il est bon de se poser la question suivante: le principal reproche ne serait-il pas qu’elle soit magistrat de profession?

Le vrai problème de fond est même: un professionnel du droit fait-il un bon ministre de la Justice?

Ci-dessous, un tableau avec la formation et/ou la profession des ministres de la Justice depuis 1958.

Michel Debré

Docteur en droit

Edmond Michelet

Courtier assermenté

Bernard Chenot

Licencié en droit + école libre de sciences po

Jean Foyer

Agrégé de droit

Louis Joxe

Agrégé d’histoire-géo

René Capitant

Agrégé de droit

Jean-Marcel Jeanneney

Lettres, docteur en droit, agrégé de sciences éco

René Pleven

Directeur de société

Jean Taittinger

PDG

Jean Lecanuet

Plus jeune agrégé de philo à 22 ans

Olivier Guichard

Etudes sciences Po

Alain Peyrefitte

Normale sup + ENA

Maurice Faure

Agrégé histoire-géo + docteur en droit

Robert Badinter

Agrégé de droit - avocat

Michel Crépeau

Avocat

Albin Chalandon

Inspection des finances

Pierre Arpaillange

Procureur général à la Cour de cassation

Henri Nallet

Sciences po + droit public + IEP Bordeaux

Michel Vauzelle

Avocat

Pierre Méhaignerie

Ingénieur agronome

Jacques Toubon

ENA

Elisabeth Guigou

ENA

Marylise Lebranchu

Maîtrise aménagement du territoire

Dominique Perben

Sciences éco

Pascal Clément

Avocat

Rachida Dati

Magistrat

Les universitaires se sont taillé un beau succès pour les nominations. Ce qui paraît logique, un universitaire est un intellectuel capable d’aborder avec raison et distance toutes les situations.

Pour mieux répondre à la question, j’évoquerai deux cas extrêmes de professionnel du droit nommé garde des Sceaux : Pierre Arpaillange, magistrat et Robert Badinter, avocat.

Il est parfois fait reproche à Rachida Dati de manquer d’expérience : Pierre Arpaillange était le roi de l’expérience - expérience de magistrat, expérience politique.

Il commence sa carrière de magistrat en 1949 à Orléans. En 1962, il est déjà secrétaire général du parquet de la Cour de cassation. De 1965 à 1974, il est détaché au ministère et sera à plusieurs reprises au poste prestigieux de directeur des Affaires criminelles et des Grâces. En 1981, il est directeur de la campagne électorale de Marie-France Garaud qui, avec Pierre Juillet, ont été les éminences grises du pouvoir et fins stratèges politiques - ils faisaient et défaisaient les carrières politiques.

En 1981, il est procureur général près de la Cour d’appel de Paris, puis en 1984, procureur général près de la Cour de cassation en 1984.

Quand il est nommé en 1988, sous le gouvernement de Michel Rocard (on lui en a fait avaler des couleuvres à ce pauvre Michel Rocard), Pierre Arpaillange est âgé de 64 ans, il a la plus belle carte de visite du monde judiciaire : procureur général près de la Cour de cassation.

Certainement peu à l’aise sous les projecteurs des médias, il est le célèbre auteur de : « en 1989, sur cinquante-deux évadés, on en a repris cinquante-trois ». André Santini, amuseur public avait lancé : « Saint-Louis rendait la justice sous un chêne. Pierre Arpaillange la rend comme un gland. » (Il était peut-être prémonitoire, Arpaillange ? le 53° était peut-être André Santini, présumé innocent dans une affaire financière !)

Ce haut magistrat rodé aux rouages politiques et judiciaires fut un bien piètre ministre. Il finira sa carrière publique comme premier président de la Cour des comptes !

Robert Badinter, agrégé de droit, avocat d’affaires, consacrant toute sa vie à lutter contre la peine de mort est la preuve vivante qu’un professionnel du droit peut être un bon ministre voire l’un des meilleurs ministres de la Justice.

Je pourrais arrêter là la démonstration mais ce serait malhonnête intellectuellement.

Certes Robert Badinter a exercé la profession d’avocat et concomitamment celle de professeur des universités mais c’est avant tout un « honnête homme » au sens du XVII° siècle.

Doté d’une culture générale extraordinaire, d’une intelligence vive - c’est un intellectuel - un vrai.

Si madame Dati veut nommer un contrôleur des prisons, elle peut nommer Robert Badinter dont on oublie trop souvent le rôle déterminant qu’il a eu pour faire évoluer la vie au quotidien dans les prisons tant des détenus que des personnels de l’administration pénitentiaire.

En définitif, nommer un professionnel du droit comme ministre de la Justice, n’est pas la solution de la facilité.

Nommer un magistrat c’est créer une suspicion chez les avocats et réciproquement. De plus magistrats ou avocats, ils sont très souvent liés à des clans (syndicats, réseaux), soumis à la jalousie de leurs confrères ou collègues. Ils partent avec des handicaps.

Les cabinets du garde des Sceaux sont souvent composés de magistrats, alors pourquoi ne pas tenter de donner ce type de ministère à un non professionnel du droit ?

Il ne faut pas être juriste pour être bon ministre, il faut appréhender avec une certaine distance les problèmes, Jean Lecanuet, philosophe de formation, a été un bon ministre.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

il faudrait imaginer un nouveau mode de représentation politique qui intégrerait des personnes issues de la société civile ayant eu un parcourt personnel et professionnel riche d'expériences divers...etc...
d'autres personnes sont douées de qualités et pratiquent une autre forme de militantisme politique (associations humanitaires..etc...), oeuvrent pour le bien commun, sont dévouées au salut public, en somme, sont peut-être plus engagées que ces professionnels de la politique, pour autant il sont très rarement écoutés, tout juste considérés alors que leur experimentation théorie-pratique permettrait d'aiguiller sur certaines questions nos chers et talentueux décideurs, qui sait, un jour viendra...