jeudi 28 juin 2007

LES RISQUES DU POUVOIR ABSOLU

Où seront les contre-pouvoirs ?
Les risques du pouvoir absolu
Depuis le 6 mai, plus de dyarchie au sommet de l'Etat. La République n'a plus qu'une tête : le président Sarkozy « gouverne ». Avec la vague bleue qui s'annonce, il tiendra tout : l'Elysée, Matignon, l'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil constitutionnel, le CSA. Sans compter les principaux médias. Paradoxe : pour lui, la contestation la plus gênante viendra moins d'une opposition parlementaire trop faible que d'une majorité trop massive

Le président s'expose . Dans tous les sens du terme... » Le mot est d'un ministre du premier cercle. Il dit tout. Les premiers pas de Nicolas Sarkozy dans l'univers magique du pouvoir suprême, c'est à la fois « Gala » dans sa version malto-tropézienne et le roman de l'énergie nationale remis au goût du jour. Le président court, le président sort, le président reçoit, le président tranche. Bref, il « gouverne ». Fin des hypocrisies et autres fauxsemblants. La République n'a qu'une tête. Plus de dyarchie au sommet de l'Etat. Dans la bataille, il ne peut y avoir qu'un seul général en chef. C'était vrai pendant la campagne. Cela le reste à l'heure de la victoire. Lorsqu'il n'était que candidat, Nicolas Sarkozy avait voulu garder le plus longtemps possible ses attributs ministériels. Depuis qu'il est à l'Elysée, il conserve le rythme d'un homme qui songe d'abord aux élections. Celles des 10 et 17 juin. Les législatives. Et peut-être même celle de 2012. La prochaine présidentielle. Confusion des genres ? Le président assume sans complexes. La semaine dernière, avant d'aller au Havre prendre la tête des troupes de l'UMP, il est allé serrer des mains dans les cantons. Pour respecter la tradition, le préfet de Seine-Maritime a averti les parlementaires du coin qu'ils étaient invités à venir saluer le président lors de ce déplacement hybride. L'un d'entre eux - Laurent Fabius en l'occurrence - lui a fait répondre, avec une ironie pincée, que malheureusement, ce soir-là, il ne pourrait assister au meeting présidentiel puisqu'il en tenait un également. A Paris, avec ses amis socialistes. Ainsi va le sarkozysme. C'est un appétit auquel rien ne semble pouvoir résister. Dans l'histoire de la République, sans doute n'estce pas la première fois qu'un président nouvellement élu profite du souffle de sa victoire pour rebattre les cartes. Quitte à empiéter sur des pouvoirs qui ne sont pas les siens. François Mitterrand, dans son genre, en 1981, ne s'en était pas privé. Valéry Giscard d'Estaing, avant lui, pas davantage. Mais l'important est moins l'intention que le style. VGE, qui - en 1974, tout au moins - avait la vision la plus présidentialiste des institutions de tous les monarques de la V e, avait mis en scène un président-citoyen décontracté et moderne. Nicolas Sarkozy inaugure une nouvelle ère : celle du président-entrepreneur dont la seule culture est celle du résultat, et l'unique ambition, celle du profit ( politique ) maximal. La rupture, elle est là. Dans la tête du chef de l'Etat. Dans la conception qu'il se fait de sa fonction. Il y avait un hiatus entre le rythme du quinquennat et l'ardente prudence du président Chirac. Nicolas Sarkozy remet les pendules à l'heure. Il ne ménage pas sa parole. Il n'économise pas son temps. Tout le monde passe par son bureau. Les grands de ce monde aussi bien que les associations de parents d'élèves. Cela avait d'ailleurs commencé avec les syndicats avant même qu'il entre officiellement en fonction. La seule question est maintenant de savoir s'il s'agit d'un moment ou d'un système. La concentration du pouvoir entre les mains du président et de ses équipes élyséennes est-elle la manifestation d'une impulsion conjoncturelle dans un quinquennat qui débute ou l'expression d'une conception nouvelle dans l'art de gouverner ? L'état de grâce - puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, pour la première fois depuis vingt-six ans - est d'abord un état de puissance. Il bénéficie à tous : le président, son Premier ministre, ses ministres, bientôt ses députés. Mais il n'élève que le maître de l'Elysée. Dès lors que ce dernier se veut d'abord « patron », les dividendes de son action rejaillissent sur tous, mais ne renforcent qu'un seul pouvoir : le sien. Avec Nicolas Sarkozy, tout est dans le mouvement. Il décide, et les autres appliquent, comme disait Jacques Chirac en d'autres circonstances. Cette religion de l'efficacité rappelle aussi Tony Blair (« ce qui est bien, c'est ce qui marche »). Sauf que le goût sans partage de la performance se marie mal avec le jeu des équilibres qui fonde la démocratie. C'est la force du sarkozysme des origines, et son talon d'Achille dès lors qu'il veut durer. Où sont les contre-pouvoirs ? Le président veut aller vite. Mais ne se prive-t-il pas de ce qui peut le conduire loin ? C'est-à-dire d'un Premier ministre qui soit à la fois un fusible et un filtre. De ministres qui soient autre chose que de simples exécutants surveillés par des conseillers n'ayant pas d'autre légitimité que la confiance élyséenne. D'un Parlement qui débatte vraiment. La cohérence du système qui se met en place est, à coup sûr, le ressort de sa popularité actuelle. Il avance, et ça plaît. Comme toujours, l'appel au peuple... Avec la vague bleue qui monte dans les urnes, le paradoxe est d'ailleurs que, demain, la contestation la plus gênante viendra moins d'une opposition parlementaire réduite à sa plus simple expression, voire même de la rue, que des rangs d'une majorité sarkozyste, trop massive pour se prêter au moindre compromis. La gauche de François Mitterrand, en 1981, avait connu ces emballements qui, au final, se paient au prix fort. On a appelé ça « l'esprit de Valence », du nom d'un congrès socialiste célèbre pour ses outrances. Et encore ! La majorité de l'époque ne tenait ni le Sénat, ni le Conseil constitutionnel, ni même les principaux médias. Aujourd'hui, tout remonte vers le haut. Et à écouter certains patrons du CAC 40, ceux qui ont aidé Nicolas Sarkozy à devenir roi, on a même parfois le sentiment que le vertige les saisit devant ce président qui s'organise sans partager grand-chose. Plus que le pouvoir absolu, est-ce désormais le temps d'un pouvoir sans régulation ? Plus que la VI e République, la V e aggravée.

François Bazin
Le Nouvel Observateur

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